PRESSE

PRESSE

NASTY MAGAZINE

Weaving Art from the Remains of the Fallen

Interview: Annalisa Fabbrucci / @annalisa_fabbrucci
Editor: Maria Abramenko  / @mariabramenko

« “My work is more of a mental projection.” »
— NASTY MAGAZINE

Poush Manifesto

Love story

Curation : Gaya Goldmycer / A’topos

En katharsis 

On plonge dans l’espace d’Ibis Hospital comme on plonge dans un rêve éveillé. On s’y enfonce comme dans une descente au cœur des entrailles de la terre, on s’y engloutit comme dans une descente au fond des abysses. Avec délices et appréhensions, on s’immerge dans cet espace comme au plus profond de nos émotions, de nos tourments, de nos désolations et de nos terreurs. Au plus profond de nos désirs aussi, de nos tentations ou de nos envies. 

 Alors, lentement, on s’approche de l’installation. Lentement, comme si l’on pressentait que quelque chose allait avoir lieu. Ou peut-être que ce quelque chose avait déjà lieu... Dans l’immédiat du regard, ce que l’on perçoit d’abord, c’est un dispositif délimité par une tenture, par le rideau marqueur du théâtral. Mais soudain, sans transition, on bascule là où l’artiste nous entraîne et nous propulse : sur une scène, celle d’un Baroque contemporain. 

 En précision, avec une logique du sensible, l’artiste crée son décor. Un décor vers lequel il nous attire doucement mais qui, brusquement, fait que l’on se retrouve posés là, sur l’échiquier d’un jeu en chiaroscuro, entre clarté et obscurité, entre ténèbres et lumière. Une lumière aussi blanche que les ténèbres sont noires. Une lumière brutale, directe et zénitale, qui tranche à vif, qui découpe, qui détache les volumes, et qui expose les formes en pleine lumière sur ces ténèbres qui les enchâssent.

 En vibrant écho au Caravaggio, avec cette Love Story paradoxale, Ibis Hospital crée une atmosphère trouble et opaque, cristalline et nébuleuse, il accouple et synchronise des formes à des objets, il met en scène des corps et orchestre une pièce où la théâtralité agressive de la naissance et de la mort donne le rythme. 

 Et moi, dans un vertige à la Hitchcock, aspirée par le travail d’Ibis, je suis projetée dans une spirale sans fin, une spirale infernale sans arrêt possible, une spirale dans laquelle une avalanche d’images fantasmées, assaillie par une kyrielle de noms et de corps.  

Des corps, donc, en double extase, comme celui de Sainte Thérèse transverbérée, des corps rapiécés, filés, tissés, torturés, comme ceux des Topiary Couples de Louise Bourgeois ou ceux des frères Chapman. Des corps étirés, douloureux et souffrants comme ceux de Francis Bacon et les corps-frontières entre érotisme et mort de Bellmer. Des corps hédonistes et objectivés de Pasolini et ceux de Tarantino qui subissent ou imposent l’insoutenable de la violence extrême. Et les corps portant béquilles, cordes, prothèses, des danseurs de Marie Chouinard qui les fait sauter, ramper, se figer pour mieux les faire danser à nouveau.

 Avec détermination, Ibis récupère et s’empare d’objets, de baigneurs, de poupées celluloïd et de mannequins inanimés qu’il appareille, qu’il prothèse et découpe, qu’il morcelle et déchiquette, qu’il segmente pour mieux les rassembler : autrement. Dans un processus d’inversion, il met en place une déconstruction qui reconstruit et une réparation qui coupe, taille, visse, tranche, soude. Le tout dans une ambivalence absolue de la douleur qui soigne. 

 Une kyrielle d’éléments, aussi : pneu, chaînes, dents, Porte bouteille, scorpion, balles, crucifix, boite de protéines, bibelot, bracelet, moteur, crampons, scies et mini scies, Insignes, matériel d’orthodontie, boîte de vitamines, menottes, bracelet, sextoy, vis, métal alu, chaînes de moto, essuie-glaces, crampons, rollers, canif, bois, seringues, chaussures, masques, muselières, baskets, portes cierges, bagues, voiles, velours… 

 Œuvre d’art totale, ici l’artiste déploie sa vision du récit de l’Annonciation, de la Nativité, de la Cène, de la mort et de la Résurrection, il nous offre ses Mater dolorosa et ses Pietà et se questionne sur la transmission la sexualité, la filiation la procréation, la ressemblance l’altérité, l’identité l’étrangeté, la vie la mort, le normal l’anormal, l’humain l’inhumain, l’identité l’altérité, l’attraction et la répulsion. Avec en clin d’œil, une spéciale dédicace aux formes biomécaniques d’H.R Giger et à celles d’Akira et de Ghost in the Shell !

 Œuvre d’art totale, cathrtique et burlesque, pieuse et déjantée, fantasmée et décentrée, ici l’artiste installe peinture, performance musique et sons, photos triptyques, assisted readymades, sculptures-assemblages et, sérieux comme le plaisir, avec Barnett Newman, il affirme que l’artiste était bien là : avant le philosophe.


CRUSH FANZINE

Issue #21“DESIGN”